30 octobre 2011
Il y a six mois débutait le printemps arabe, enjeu géopolitique qui concernait d’abord et avant tout l’Europe, pour des raisons géographiques et historiques évidentes. Les Etats-Unis, pour des raisons de politique intérieure, cherchent à donner l’impression de ne pas trop s’y impliquer. Pourtant, dans l’engagement de l’Europe il y a un immense paradoxe : les Européens sont bien présents, mais l’UE est totalement absente.
Les États sont là, mais l’Europe communautaire est inexistante. Le paradoxe ne s’arrête pas là, car parmi les États européens, deux seuls existent réellement : la France et la Grande-Bretagne. Toute la question est donc de savoir ce que cette donne politique implique pour l’avenir de l l’Europe.
Dans l’affaire libyenne, la France et la Grande-Bretagne ont été très complémentaires. Ces deux pays ont vu dans cette crise l’occasion de se remettre en selle. On constate qu’en dehors de la France et de la Grande-Bretagne, les Européens sont totalement inexistants. L’Allemagne, qui avait tout fait pour que l’union pour la Méditerranée de M. Sarkozy regagne le giron de l’Europe, est moins que jamais disposée à consentir un effort militaire hors de ses frontières, l’Italie est totalement inconséquente et l’Espagne tout simplement absente. Au niveau de l’Union Européenne, le vide est encore plus impressionnant. Mme Ashton s’est farouchement opposée à ce que l’UE puisse se trouver militairement engagée en Libye. Avec l’appui de nombreux états membres, elle s’est opposée à toute action militaire de protection des convois humanitaires. La participation de l’UE à la surveillance en haute mer du trafic maritime vers la Libye a également été refusée par la plupart des Etats membres. Le comble est venu de la Suède qui s’est farouchement opposée à toute intervention de l’UE en Libye, considérant que cela relevait de l’Otan alors qu’elle-même n’est pas membre de cette organisation.
La France était vue comme un obstacle à la politique britannique, à savoir ne se concentrer que sur la constitution de coalitions entre États disposés à agir ensemble pour atteindre un objectif politique bien précis. Désormais elle constitue un partenaire fiable, le seul avec lequel Londres peut parler sérieusement des affaires du monde et envisager sans inhibition de recourir à la force si nécessaire.
Le paradoxe est que si les Britanniques croient beaucoup à l’avenir de la relation franco-britannique, ils croient moins que jamais à l’avenir de l’Europe de la défense. William Hague, le ministre des affaires étrangères britannique, a clairement fait savoir que son pays s’opposait à la création d’un état major Européen, création approuvée par les 26 autres Etats membres. La Grande-Bretagne sait que son alliance privilégiée avec les États-Unis tire à sa fin, mais ses élites sont encore très loin d’avoir tiré les conclusions de cette nouvelle réalité.
La France est dans un tout autre état d’esprit. Elle souhaite que la convergence stratégique franco-britannique débouche sur une défense européenne. C’est d’ailleurs à ce prix qu’elle avait accepté de réintégrer pleinement l’organisation militaire intégrée de l’OTAN. On se trouve ainsi dans une situation où ceux qui parlent d’Europe de la défense ne veulent surtout pas consentir un effort militaire supplémentaire tandis que ceux qui ne veulent pas en entendre parler comme la Grande-Bretagne, le consentent effectivement.
Dans cette équation compliquée, la France occupe à l’évidence une position centrale. Elle est le seul pays à vouloir plus d’Europe tout en se donnant les moyens d’y contribuer, mais ces derniers sont relativement limités et il n’est pas sûr qu’elle parvienne à infléchir la conduite d’États européens confrontés soit à des problèmes de survie financière soit à un provincialisme politique exacerbé. Le printemps arabe place l’Europe face à ses responsabilités. Cela ne signifie pas pour autant qu’elle soit disposée à les prendre si facilement. L’Europe est décidément encore une idée neuve.